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Rastafari
par Bruno Blum

Rastafari - mode de vie, philosophie et culte mystique, millénariste, messianique, afrocentriste et syncrétique né en Jamaïque et adopté par un nombre grandissant d’hommes et de femmes de toutes origines depuis les années 30.

Premier Rasta célèbre, Bob Marley a consacré sa vie à la diffusion de la foi et de la culture rastafarienne. La religion chrétienne est extrêmement présente en Jamaïque (plus de 80% de la population), notamment avec les églises anglicanes, méthodistes, baptistes, romaines catholiques, l'église de Dieu et, depuis les années 70, l'église orthodoxe éthiopienne.

L'évangile (gospel) est chanté avec ferveur le dimanche dans toute l'île. Face à l'émancipation de la mentalité esclavagiste, puis du colonialisme, se sont crées, au début du XXe siècle, différents mouvements "éthiopianistes" où l'interprétation occidentale de la Bible est parfois remise en cause.

Les traditions des cultes africains interdits par les maîtres ayant survécu sous forme d'obeah (sorte de vaudou local illégal et redouté), du kumina, et mélangées à la Bible, de la Pocomania ou Pukumina.
Lorsque le Jamaïcain Marcus Garvey émigre à Harlem, où il devient un des premiers meneurs importants de la cause noire, il fait souvent allusion à l'Ethiopie dans ses discours. Il écrit ainsi dans son principal ouvrage Philosophy & Opinions: “Laissons le Dieu d'Isaac et leDieu de Jacob exister pour la race qui croit au Dieu d'Isaac et de Jacob. Nous, les Nègres, croyons au Dieu d'Ethiopie, le Dieu éternel, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, le Dieu de tous les âges.

C'est le Dieu auquel nous croyons, et nous l'adorerons à travers les lunettes de l'Ethiopie”.
En 1924, le révérend James Morris Webb prononce un discours cité par le quotidien conservateur Daily Gleaner : “Regardez vers l'Afrique, où un roi noir sera couronné, qui mènera le peuple noir à sa délivrance”.

La presse coloniale dénonce alors cette doctrine éthiopianiste "vulgaire" qu'ils attribuent à Garvey. Mais le 2 novembre 1930, en Ethiopie, Tafari Makonnen, le Ras Tafari, est coiffé de la couronné sacrée du Négusa Negast (roi des rois) sous le nom de Haïlé Sélassié Ier (“Puissance de la Trinité”). Il est le chef de la première nation officiellement chrétienne de l'histoire, l'Abyssinie. Selon le livre sacré Gloire Des Rois (Kebra Nagast), retraçant l'histoire de son antique dynastie, Sélassié est le descendant direct du Roi Salomon et de la Reine Makeda de Saba.

Des représentants prestigieux des pays occidentaux assistent au sacre très médiatisé de Sélassié, qui est perçu par une communauté d'agriculteurs éthiopianistes de Sligoville (Jamaïque), le Pinacle, dirigé par Leonard Percival Howell (véritable fondateur du mouvement Rastafari), comme étant l'accomplissement de la prophétie attribuée à Garvey.

En effet, le "Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs" (1 Timothée 6:15) de la Bible ressemble beaucoup aux titres traditionnels millénaires de Sa Majesté Impériale Haïlé Sélassié Ier : "Empereur d'Ethiopie, Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs, Lion Conquérant de la Tribu de Juda, élu de Dieu, Lumière de l'Univers". Puisant à la fois dans le marxisme, le christianisme, la culture africaine et plus tard l'hindouisme, Howell considère Sélassié (ou "Jah", de Jahovah) comme le messie et propose dès lors une interprétation afrocentriste de la Bible.

Cultivant le chanvre, considéré comme un sacrement (fumé dans les calices) et le diffusant dans l'île, il est arrêté pour sédition en 1933, puis il est interné à l'asile à plusieurs reprises, alors que le Pinacle est détruit maintes fois par la police.
Différents mouvements éthiopianistes de libération, parfois menés par des farfelus comme Prince Emmanuel, se développent parallèlement en Jamaïque. Ils prennent pourtant peu à peu un nom générique, Rastafari, et visent, en partie, à restituer à l'homme noir le rôle important qu'il a joué dans la civilisation, à commencer par la Bible, où les ancêtres Juifs de Sélassié seraient naturellement, comme lui, Noirs : Moïse, Jésus, etc.

Progressivement, et selon le voeu de Jésus et des Nazaréens (Nombres 6-5), beaucoup de Rastafariens ne se coupent ni la barbe ni les cheveux, (lien) une coiffure souvent comparée à la crinière du Lion de Juda sacré. Des "locks" (tresses) ou "dread (épouvante) locks" se forment ensuite naturellement dans leurs cheveux crépus (tous les "dreads" jamaïcains ne sont pas pour autant rastas, et inversement certains, les "bald heads", à la tête rasée diront : "Rasta est dans le cœur").

Ce signe de reconnaissance deviendra une mode internationale à partir de 1976. Proches de la terre, généralement les Rastas ne boivent pas d'alcool, le vin étant proscrit (Nombres 6-3), ne touchent pas aux morts (beaucoup de Rastas ne font même jamais allusion à la mort, mais au contraire "chantent la vie"), sauf ceux de leur proche famille (Lévitique 21-1), et le corps humain est considéré comme l'église (Corinthiens 3-16, 17), rejetant ainsi le principe même des temples ou des églises.

Désireux de se maintenir en bonne santé, ils sont en principe végétariens* (Génèse 1:29), mais mangent des poissons à l'occasion (un mets très cher en Jamaïque) et refusent toute nourriture non biologique.

Quant à leur nom, il devient celui, divin, de Sélassié : le Ras (tête, correspond étymologiquement et protocolairement à son titre de duc) Tafari (son prénom chrétien). Leurs couleurs sont celles de l'Ethiopie impériale (rouge, or et vert, couleurs de l'Afrique frappées du Lion de Juda).

Dès lors, les Rastafariens, incompris, blasphématoires, fumeurs de chanvre (la ganja, "l'herbe de la sagesse" qui aurait poussé sur la tombe de Salomon) deviennent des parias maltraités. En 1954, le Pinacle est rasé, et ils s'installent à Kingston, à Back-o-Wall.

Haïlé Sélassié fait une visite officielle en Jamaïque en avril 1966.



Des milliers de Rastas l'accueillent à sa surprise, et le mouvement prend plus d'ampleur encore bien que Sélassié, bienveillant avec les Rastas, n'admette jamais sa propre divinité.
Back-o-Wall est rasé le 12 juillet 1966 avec violence. De plus en plus de musiciens de rock steady puis de reggae, jusque-là généralement proches de la soul américaine et des églises, transmettent le message rebelle rasta avec leurs chansons.

Le style des trois tambours "nyabinghi" joué lors des cérémonies rastas (grounations) se répand (Bob Marley en tirera une chanson, "Selassie Is The Chapel"). A partir de 1970, un courant rasta majoritaire traverse le reggae. Bob Marley* fait avec insolence découvrir au monde cette culture qui met en valeur l'histoire d'Afrique, méconnue malgré son extraordinaire richesse. Les Rastas commencent alors à obtenir le respect dans leur pays malgré une répression utilisant la prohibition de la détention de chanvre, punie de bagne malgré une pratique répandue dans toute la population de l'île.

Et si les Rastas perdent de l'influence chez les jeunes Jamaïcains après la disparition de Marley en 1981, ils restent très présents et font un retour massif, unanime, dans le reggae à partir de 1994 avec Garnett Silk, Buju Banton, Tony Rebel, Mutabaruka, Sizzla, etc. De nombreuses et différentes tendances rastas cohabitent en Jamaïque et sont parfois contradictoires. Les Bobo Ashanti, les Emmanuelites, les Ites, notamment, ainsi que des courants chrétiens plus traditionnels.

Les positions des individus se réclamant rastas vont du racisme le plus primaire issu de la lutte contre l'esclavage et le colonialisme, ou d'un ethnocentrisme noiriste militant, garveyite à outrance, parfois teinté de racisme, jusqu'à une philosophie universaliste profonde, où la recherche de sa propre identité, de son acceptation, de la tolérance et de la nature humaine rejoint les philosophies et ascèses orientales.

L'organisation des Douze Tribus d'Israël tente de fédérer les Rastafariens, mais sans réel succès. En 1997, un parti d'obédience Rasta cherche même à se présenter aux élections.

Pacifiques mais fiers, affichant généralement une arrogance propre à beaucoup de Jamaïcains, les Rastas dénoncent la société païenne (les non-rastas, chrétiens compris), Babylone, et répandent leur culture dans le monde entier.

La foi rasta permet avant tout à beaucoup de Jamaïcains pauvres de donner une dignité et un sens à leur vie difficile, en restant détachés de l'identité coloniale et ancrés dans leurs racines africaines. L'idée universelle de base étant "d'être soi-même" et de "se connaître".

La culture et les préceptes Rastafariens tendent à se cristalliser en une nouvelle religion organisée, qui serait ainsi la plus importante née au vingtième siècle. Pour de nombreux Rastas, cette tendance est une dérive.

Bruno Blum

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