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Marcus Mosiah Garvey

L'esclavage est aboli en 1886 à Cuba, une île toute proche de la Jamaïque. Garvey naît l'année suivante, le 17 août à Saint Ann's Bay au nord de la Jamaïque, pas loin du lieu de naissance de Bob Marley et Winston "Burning Spear" Rodney. Dans l'île opprimée, où la ségrégation raciale ("apartheid") règne, les conditions de travail n'ont pas vraiment changé depuis l'abolition de l'esclavage. Beaucoup de Jamaïcains ont émigré à Panama pour travailler sur le chantier du célèbre canal. L'Afrique est en proie à l'invasion coloniale européenne à cette époque, mais certains Antillais parviennent tant bien que mal à y partir, notamment au Libéria.

Marcus Mosiah Garvey est un musicien qui joue de l'orgue à l'église, et bien qu'entouré d'analphabètes il est passionné de lecture. Ce chrétien descendant des Marrons est employé chez un imprimeur et participe à un syndicat qui l'élit meneur lors d'une grève. Il devient vite un orateur de premier plan, un journaliste (il fondera bientôt le journal Garvey's Watchman) et un activiste politique.

De 1910 à 1914 il voyage en Amérique latine, en Europe, puis entame un périple aux Etats-Unis où il rencontre tous les mouvements visant à émanciper les Afro-américains. Installé à Harlem au lendemain de la première guerre mondiale, de 1918 à 1922 Marcus Garvey est mondialement connu. Tandis que la révolution russe bat son plein, il se rallie à la lutte des classes à sa manière.
Il soutient Ho Chi Minh, Gandhi, et salue avec respect l'œuvre de Lénine et Trotsky.

Mais tandis que Trotsky considère comme essentielle l'unification des tous les hommes opprimés, et ce sans les diviser par la couleur de leur peau, la vision de Garvey passe par "la race d'abord", une doctrine "nationaliste noire" radicale qui l'oppose aux mouvements intégrationistes de gauche. Ne croyant pas que les Afro-américains pourront vivre libres et respectés hors d'Afrique, il veut unifier les Noirs internationalement, et réclame le droit au "rapatriement" en Afrique (au Libéria le plus souvent) des Afro-américains de tous pays.

Cette démarche ressemble beaucoup à celle des Sionistes qui émigrent alors déjà en Palestine, ayant eux aussi perdu leur espoir d'intégration. Combattu par les Afro-américains partisans de l'intégration sans doute (menée par Dubois), la stature de Garvey n'aura sans doute pas d'équivalent au vingtième siècle dans la lutte pour la liberté de "son peuple".
Son mouvement, l'United Negro Improvement Association, organise des réseaux de garveyites dans le monde entier.

Le père Malcolm X, un pasteur assassiné par le Ku Klux Klan en 1931, était un de ses adeptes les plus convaincus. Garvey fonde des usines, des réseaux de distribution, et une fameuse société de paquebots, la Black Starline (clin d'œil à la White Starline, l'armateur du Titanic qui a sombré quelques années plus tôt...).
Ses bateaux, financés par des actionnaires noirs, desservent toutes les Antilles, les Etats-Unis, et se préparent à emmener tout le monde en Afrique. Il prononce des discours retentissants au Madison Square Garden, et devient une cible du gouvernement des États-Unis qui le renvoie en Jamaïque et l'interdit de séjour. Garvey est accusé d'escroquerie envers les actionnaires de la Black Starline. Il sera brisé par ses nombreux opposants et mourra d'une crise cardiaque le 10 juin 1940 à Londres sans jamais atteindre l'Afrique.

D'abord rejeté dans son pays, il deviendra (suivi par Bob Marley) le grand héros national jamaïcain, et un exemple retentissant dans toute l'île.
L'un des premiers Rastas à chanter sa mémoire est Burning Spear, qui lui dédie son chef-d'œuvre, l'album "Marcus Garvey" (1975) où plusieurs morceaux lui sont consacrés. Les Mighty Diamonds (Them Never Love Poor Marcus, 1976) et Culture (Garvey Rock, 1976, Black Starliner Must Come, 1978, Down In Jamaica, 1979) sont parmi ses plus fervents admirateurs.
La plupart des Rastas le considèrent en fait comme le prophète qui a annoncé... l'arrivée du messie.
L'histoire de Marcus Garvey se trouve donc au cœur de la culture jamaïcaine, et plus particulièrement du reggae.

Le mouvement Rastafari

Garvey faisait souvent allusion à l'Éthiopie dans ses discours. Dans son principal ouvrage Philosophy & Opinions, il écrit :
"Laissons le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob exister pour la race qui croit au Dieu d'Isaac et de Jacob. Nous, les Nègres, croyons au Dieu d'Ethiopie, le Dieu éternel, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, le Dieu de tous les âges. C'est le Dieu auquel nous croyons, et nous l'adorerons à travers les lunettes de l'Ethiopie".

En 1924 en Jamaïque, le révérend James Morris Webb prononce un discours cité par le quotidien conservateur Daily Gleaner : "Regardez vers l'Afrique, où un roi noir sera couronné, qui mènera le peuple noir à sa délivrance". La presse coloniale dénonce alors cette doctrine éthiopianiste "vulgaire" qu'ils attribuent à Garvey et qui fait grand bruit chez les Afro-jamaïcains miséreux.

Mais tout à coup en Éthiopie le 2 novembre 1930 Tafari Makonnen, le Ras Tafari (Ras = tête, équivalent au titre de duc) est coiffé de la couronne sacrée du Négusa Negast (roi des rois) sous le nom de Haïlé Sélassié Ier ("Puissance de la Trinité").

Sélassié était déjà le régent du pays depuis 1916. Selon le livre sacré Kebra Nagast (Gloire Des Rois) qui retrace l'histoire de son antique dynastie, il n'est rien moins que le descendant direct du Roi Salomon et de la Reine de Saba, appelée Makéda en Éthiopie. Des représentants prestigieux des pays occidentaux assistent au sacre très médiatisé de Sélassié. L'empereur d'Éthiopie apparaît en couverture de tous les journaux.

Un Noir en première page !

Cet évènement est très remarqué, et particulièrement en Jamaïque. Il est perçu par une communauté d'agriculteurs éthiopianistes de Sligoville (Jamaïque), le Pinacle, dirigé par Leonard Percival Howell (véritable fondateur du mouvement Rastafari), comme étant l'accomplissement de la prophétie attribuée à Garvey. En effet, le "Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs" (1 Timothée 6:15) de la Bible ressemble beaucoup aux titres traditionnels millénaires de Sa Majesté Impériale Haïlé Sélassié Ier : "Empereur d'Éthiopie, Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs, Lion Conquérant de la Tribu de Juda, élu de Dieu, Lumière de l'Univers". Puisant à la fois dans le marxisme, le garveyisme, le christianisme, la culture africaine et plus tard l'hindouisme, Howell considère Sélassié (ou "Jah", un des noms hébreux de Dieu) comme le messie et propose dès lors une interprétation afrocentriste de la Bible
(Le Premier Rasta, biographie de Hélène Lee, Flammarion 1999).

La première communauté rastafarienne ne porte pas encore de dreadlocks, mais elle consomme et vend ses cultures maraîchères aux alentours. Le chanvre, utilisé pour la fabrication de cordes, est aussi fumé.
Si on la laisse pousser, cette herbe forme des arbustes qui mesurent jusqu'à trois mètres de haut dans les conditions idéales de culture (soleil et proximité d'un étang). Les colons britanniques l'ont importée d'Inde, où on l'appelle ganja quand elle est façonnée en forme de pâte, de haschisch. Les Antillais appellent le chanvre lui-même la ganja.

Ils consomment le tabac local et la ganja depuis des siècles; le principe même de fumer le tabac vient même des indiens Arawaks de Jamaïque, étudiés par Christophe Colomb (et exterminés par les Espagnols) qui a passé l'année 1503 naufragé sur cette île. Il a aussi rapporté des compte-rendus étonnants de matches de batos, l'authentique ancêtre arawak du futur sport national jamaïcain : le football. Les Jamaïcains post-Arawaks ont toujours raffolé du chanvre, dont une des propriétés est d'augmenter l'acuité auditive. L'importance fondamentale de la musique dans la société jamaïcaine est certainement liée à cette consommation de ganja, mais Howell et ses camarades la relient d'abord à "l'herbe de la sagesse" qui poussait jadis sur la tombe de Salomon. Pour eux, cette herbe biblique n'est autre que du chanvre, et le calice de leurs vins de messe devient vite une pipe à ganja.

C'est pour ces raisons que les Jamaïcains, et les Rastas en particulier, sont bien sûr très associés à la fumette, que le reggae chante abondamment. L'un des premiers à enregistrer sur ce thème est Count Ossie (Herb I Feel, années 60), suivi de King Stitt (Herbman Shuffle, 1969), Bob Marley (Kaya, 1970), Peter Tosh (Legalize It, 1976). Howell et sa communauté sont très mal vus par les autorités pour leurs pratiques "blasphématoires", en fait du fait de leur rejet farouche de la culture et de la société coloniale. Il est arrêté pour sédition en 1933, puis interné à l'asile à plusieurs reprises, alors que le Pinacle est détruit maintes fois par la police.

La dispersion violente des premiers Rastas en mène beaucoup jusqu'à la capitale dans les années 1940. Véritables parias, incompris, martyrisés, ils s'installent essentiellement au bord de la mer, près du centre de Kingston, dans le quartier ouest de Back-o-wall où ils construisent un bidonville. Leurs conditions de vie sont très difficiles.

Différents mouvements éthiopianistes de libération, parfois menés par des farfelus comme Prince Emmanuel, fondateur de la future communauté Bobo des chanteurs enturbannés Sizzla et Anthony B des années 1990, se développent parallèlement en Jamaïque. Ces sectes "éthiopianistes" comme on les appelait, se tournent vers les cultures africaines encore tabou dans la société coloniale. Leur révérence envers l'empereur d'Éthiopie, anciennement le ras Tafari, leur donne peu à peu un nom générique : Rastafari.

Dans les années 1970, Bob Marley dira ceci lors d'une conférence de presse : "Le Christ a promis de revenir au bout d'environ deux mille ans. Il a dit qu'à son retour il serait le roi des rois, le seigneur des seigneurs, le lion conquérant des tribus de Juda sur les terres du roi Salomon et du roi David. Toute ma vie j'ai vraiment cherché à savoir si Dieu existait. Et comme je ne suis pas du tout raciste, je l'ai cherché partout. J'ai regardé en Europe, en Afrique, partout. Quand j'ai regardé en Éthiopie j'ai vu un homme qu'on appelle le roi des rois, le seigneur des seigneurs, le lion conquérant des tribus de Juda sur les terres du roi Salomon et du roi David. Exactement comme dans la Bible ! Chez moi, il y a ce détail qui revient toujours, c'est qu'il paraît que le roi Jean a coupé des passages de la Bible. Moi, tout ce que je vois, c'est que s'il a fait ça, c'est sûrement pas à l'avantage des Noirs. Alors quand j'ai entendu cette révélation du roi des rois qui revenait des terres des rois David et Salomon, j'ai su que c'était vraiment le retour du Christ. Le vrai nom de Haïlé Sélassié c'est Rasta, alors nous sommes le peuple des Rastas."

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